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Les forces irakiennes ont repris vendredi aux combattants kurdes la dernière zone qu’ils contrôlaient dans la province disputée de Kirkouk, à 50 km d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, a indiqué un responsable de la sécurité.
« L’armée, la police et le contre-terrorisme sont entrés dans le centre de la région d’Altun Kupri », a indiqué à l’AFP ce responsable des services de sécurité de Kirkouk, sous le couvert de l’anonymat.
« Il y a eu des affrontements mais les forces irakiennes ont pu lancer l’assaut (…) et hisser le drapeau irakien sur la municipalité », a-t-il ajouté.
La zone rurale et agricole d’Altun Kupri, « le pont doré » en turc, est habitée par des populations kurdes et turkmènes et s’étend sur 520 kilomètres carrés.
Depuis dimanche, les troupes fédérales irakiennes et des unités paramilitaires alliées ont évincé les forces kurdes de la riche province pétrolière de Kirkouk (nord-est), ainsi que des provinces de Ninive (nord) et de Diyala (est).
Dans la très grande majorité des cas, il n’y a pas eu de combat, les peshmergas s’étant retirés en vertu d’un accord de certains de leurs dirigeants avec Bagdad.
L’opération lancée par le Premier ministre irakien Haider al-Abadi, commandant en chef des armées, visait à rétablir l’autorité du pouvoir central dans les zones disputées du pays.
Elle intervenait après un référendum d’indépendance kurde organisé le 25 septembre lors duquel le « oui » l’avait massivement emporté, provoquant la colère de Bagdad.
LES FORCES IRAKIENNES ONT RÉUSSI À RENVERSER LEUR IMAGE D’IMPUISSANCE
La rapidité avec laquelle les troupes irakiennes se sont imposées face aux combattants kurdes quelques jours après avoir chassé le groupe Etat islamique (EI) de la province de Kirkouk montre le changement radical du rapport de forces en Irak, affirment des experts.
Pendant 14 ans, face à une armée impuissante, les peshmergas ont systématiquement grignoté du terrain dans les zones que se disputaient Bagdad et Erbil.
Cette semaine pourtant, il n’aura fallu que 48 heures aux forces gouvernementales pour reprendre le terrain perdu sans quasiment rencontrer d’opposition.
Elles ont remporté la bataille de Mossoul, « l’un des plus durs combats depuis des décennies, puis elles ont dominé l’EI à Tal Afar et Hawija », se félicitait récemment le colonel Ryan Dillon, porte-parole de la coalition internationale antijihadistes. Certains « disent même qu’elles sont désormais l’une des premières forces de sécurité de la région ».
Et pourtant elles reviennent de loin. Il leur aura fallu des années pour se reconstituer avec l’aide de plusieurs armées occidentales.
Humiliées lors de l’invasion de l’Irak conduite par les États-Unis en 2003, démantelées par le pro-consul américain Paul Bremer qui les considérait comme un outil de l’ex-dictateur Saddam Hussein, elles ont longtemps compté plus d’une moitié de « soldats fantômes », payés mais n’existant que sur le papier, selon un audit.
Leur état pitoyable éclata au grand jour lors de l’offensive éclair de l’EI en 2014 quand les jihadistes s’emparèrent de près d’un tiers du pays.
« Le moral (des troupes) était très bas » et les forces « souffraient de la corruption et du népotisme de la direction », explique Émile Hokayem, chercheur au centre de réflexion International Institute for Strategic Studies (IISS).
Sous la houlette du nouveau Premier ministre Haider al-Abadi, le gouvernement a alors procédé à des réformes au sein des forces de sécurité et fait revenir des formateurs étrangers, partis en 2011.
La coalition internationale affirme avoir formé, depuis 2015, 119.000 membres des forces des sécurité, dont 43.900 militaires, 20.700 policiers, 14.400 membres des unités d’élite de l’antiterrorisme et 22.800 peshmergas.
Les réformes « considérables » de M. Abadi combinées aux « efforts massifs américains pour armer et soutenir » l’Irak ont fait émerger « une force plus disciplinée et jouissant d’une meilleure cohésion, qui a montré sa capacité militaire sur le champ de bataille », ajoute M. Hokayem.
Pour Jeremy Binnie, rédacteur en chef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’hebdomadaire spécialisé Jane’s defence, trois années de formation et d’approvisionnement de la coalition ont porté leurs fruits.
Mais, ajoute-t-il, « les Irakiens ont probablement aussi amélioré leur manière d’aborder les problèmes de corruption et de faiblesse logistique ainsi que la façon de remonter le moral très bas » des troupes.
En outre, les forces gouvernementales ont été suppléées par le Hachd al-Chaabi. Ces unités paramilitaires qui regroupent plus de 60.000 hommes, pour beaucoup issus de milices chiites soutenues par l’Iran, ont été formées en 2014 à l’appel du plus haut dignitaire chiite du pays pour contrer l’EI.
Jusqu’ici placés sous l’autorité directe du Premier ministre, commandant en chef des armées, la question de leur intégration ou non au sein des forces régulières s’annonce comme le prochain débat brûlant.
Les peshmergas en revanche, souvent présentés comme de redoutables combattants, ont connu le processus inverse, car ce ne sont pas eux qui ont été le fer de lance de la lutte anti-EI en Irak.
Ils n’étaient pas de la bataille dans la ville de Mossoul, s’étant arrêté 30 km plus à l’est. Ni de celle de Tal Afar, ni de celle de Hawija et ils ne participeront pas à la dernière bataille d’Anbar.
Quand en 2014, l’EI s’est approché d’Erbil, ils étaient, comme les forces irakiennes, prêts à fuir avant que l’influent voisin iranien ne leur prête main-forte.
S’ils se sont effacés à Kirkouk, c’est « par manque de cohésion politique », affirme M. Hokayem. « Le combat contre l’EI a éclipsé le dysfonctionnement dans la direction kurde depuis des années », explique le spécialiste.
Par ailleurs, l’image d’Épinal du vieux peshmerga dans sa montagne, coiffé d’un keffieh, longues moustaches, visage buriné et pantalon bouffant, défendant son territoire dans des conditions extrêmes, a vécu.
La nouvelle génération, note M. Hokayem, « n’a ni la cohésion ni la dureté de l’ancienne », car « la stabilité et le développement économique du Kurdistan irakien depuis 2003 ont affecté l’état d’esprit militaire de la communauté kurde ».
En outre, en raison des disputes politiques entre Erbil et Bagdad, depuis 2015 les peshmergas ne reçoivent qu’une demi-solde.
Les Kurdes favorables au dialogue avec Bagdad après l’opération militaire
Le gouvernement du Kurdistan irakien s’est déclaré jeudi favorable à un dialogue avec le pouvoir central à Bagdad dont les forces viennent de chasser les combattants kurdes de zones disputées.
« Le cabinet du Kurdistan accueille favorablement l’initiative du Premier ministre Haider al-Abadi d’entamer des négociations pour régler les problèmes en suspens selon la Constitution et les principes de partenariat », selon un communiqué officiel publié à Erbil, la capitale du Kurdistan.
Le communiqué a été publié après une réunion du cabinet tenue sous la présidence du Premier ministre kurde Nechervan Barzani et du vice-Premier ministre Qubad Talabani.
« Le Kurdistan demande l’aide et la contribution de la communauté internationale en parrainant ce dialogue », selon le gouvernement de cette région autonome.
Lundi et mardi, les troupes fédérales irakiennes et des milices alliées ont évincé les forces kurdes de la riche province pétrolière de Kirkouk (nord-est), ainsi que des provinces de Ninive (nord) et de Diyala (est).
Cette opération visait à rétablir l’autorité du pouvoir central dans les zones disputées du pays. Elle intervenait après un référendum d’indépendance kurde organisé le 25 septembre lors duquel le « oui » l’avait massivement emporté, provoquant la colère de Bagdad.
Mardi, M. Abadi a fait une offre de dialogue tout en affirmant que ce référendum était « terminé et faisait désormais partie du passé », de même que « son résultat ».
Il avait fait de l’abandon du résultat de cette consultation une condition préalable à l’ouverture d’un dialogue avec la région autonome.
– Mandat d’arrêt –
L’opération de Bagdad a permis –presque sans combats– au pouvoir central de reprendre le contrôle des zones tenues par les Kurdes depuis 2013. Ces derniers sont désormais largement cantonnés à leurs trois provinces autonomes du nord du pays.
Les Kurdes avaient progressivement gagné du terrain à la suite de l’invasion américaine de 2003 et de la percée fulgurante du groupe Etat islamique (EI) en 2014.
Malgré la volonté de dialogue affichée, des tensions subsistent entre Bagdad et le Kurdistan.
Kosrat Rassoul, vice-président du Kurdistan irakien et haut dirigeant de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), a affirmé que « l’armée irakienne et la police fédérale dans la province de Kirkouk étaient des forces d’occupation ».
Jeudi, un tribunal de Bagdad a émis un mandat d’arrêt contre lui pour « propos provocateurs envers l’armée irakienne », selon une source judiciaire.
« Le tribunal considère ces propos comme une provocation contre les forces armées conformément à l’article 226 du code pénal », a précisé Abdel Sattar al-Bireqdar, porte-parole du Conseil suprême de la magistrature. Il risque au maximum sept ans de prison ou une amende.
Par ailleurs, le gouvernement irakien s’en est pris vivement jeudi, sans le nommer, à l’accord signé la veille par le géant semi-public russe du pétrole Rosneft avec les autorités du Kurdistan irakien.
Le ministère irakien du Pétrole a souligné dans un communiqué que « ce département et le gouvernement fédéral irakien sont les deux seules parties avec lesquelles il faut traiter pour conclure des accords concernant le développement et les investissements dans le secteur de l’énergie ».
Rosneft avait annoncé mercredi un accord avec les autorités du Kurdistan irakien, à qui il compte payer jusqu’à 400 millions de dollars (338 millions d’euros) pour exploiter ses vastes ressources en hydrocarbures, disputées avec le pouvoir central de Bagdad.
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